Il y a 35 ans, la destruction d'un avion de ligne sud-coréen par des terroristes a déclenché la tenue d'une enquête digne d'un film d'espionnage, impliquant des agents nord-coréens déguisés, des pilules mortelles et des interrogatoires qui ont confirmé les soupçons d'un programme d'enlèvement.
Aujourd'hui, un ancien diplomate japonais ayant interrogé l'un des agents impliqués dans l'attentat raconte cette histoire, dans un entretien exclusif avec la NHK.
Déroulement de l'attentat
Le 29 novembre 1987, le vol 858 de Korean Air reliait Bagdad à Séoul, via Abu Dhabi. Il a explosé au-dessus de la mer d'Andaman, près du Myanmar, tuant les 115 personnes qui se trouvaient à bord. La plupart des victimes étaient des employés sud-coréens revenant de missions effectuées au Moyen-Orient.
La bombe avait été dissimulée par deux personnes : un père et sa fille présumée, de nationalité japonaise. Ils avaient embarqué à Bagdad pour descendre à Abu Dhabi. Ils ont finalement été interpellés à l'escale suivante, au Bahreïn, où leurs passeports furent identifiés comme des faux.
Les patronymes « Hachiya Shinichi » et « Hachiya Mayumi » figuraient sur leurs pièces d'identité. Par la suite, les autorités sud-coréennes ont confirmé que l'homme s'appelait en fait Kim Seung-il et la femme Kim Hyon-hui. Il s'agissait de deux agents nord-coréens et ils avaient cherché à faire croire que les auteurs de l'attentat étaient japonais.
Kim Seung-il s'est suicidé dans une prison du Bahreïn, après avoir ingurgité une capsule de cyanure de potassium.
Les autorités sont parvenues à maîtriser Kim Hyon-hui avant qu'elle ne fasse de même. Elle a ensuite reconnu que l'attentat avait été orchestré et commandité par la Corée du Nord. Pyongyang, à ce jour, nie toute implication.
L'agenda nord-coréen était toutefois perçu comme préjudiciable à la crédibilité internationale du gouvernement sud-coréen, car Séoul serait l'année suivante la ville hôte des Jeux olympiques.
Implication du Japon dans l'enquête
Les agents ayant utilisé des passeports et des patronymes japonais, le gouvernement nippon a dépêché un émissaire en Corée du Sud, chargé d'interroger Kim Hyon-hui.
Tanaka Hitoshi dirigeait une division du ministère des Affaires étrangères dédiée aux questions relatives à la péninsule coréenne. Il a rencontré Kim Hyon-hui dans un refuge de montagne sécurisé par l'Agence centrale coréenne du renseignement.
« Elle pouvait parler et comprendre la langue japonaise », explique M. Tanaka. « À l'époque, j'ai constaté avec surprise qu'elle faisait clairement partie de l'élite. Comment une personne diplômée d'une université de langues étrangères à Pyongyang, en Corée du Nord, avait-elle pu faire exploser un avion de Korean Air Lines ? Pourquoi n'avait-elle pas émis de doutes sur une telle mission ? »
« Elle m'a dit qu'on lui avait appris, dès l'âge de trois ans, que le monde, hors des frontières de la Corée du Nord, relevait de l'imposture. On l'aurait également persuadée que la République populaire démocratique de Corée était le meilleur endroit sur la planète, et que le reste du monde était certes prospère, mais du seul fait de l'exploitation capitaliste. Elle jugeait inévitable le fait de croire ce qu'on lui avait toujours enseigné. »
Au cours d'une séance très intense, Kim Hyon-hui a largué une bombe. Les autorités lui avaient inculqué les notions essentielles de la culture japonaise afin qu'elle puisse mener incognito, en tant que ressortissante nippone, des activités d'espionnage en Corée du Sud ou ailleurs.
« Elle a précisé que son instructrice japonaise se nommait Lee Un-hae. Elle avait étudié la langue avec les magazines Shukan Bunshun et Bungei Shunju comme ressources pédagogiques », explique M. Tanaka.
Pour le gouvernement japonais, Lee Un-hae serait en réalité Taguchi Yaeko, qui fait partie des 17 ressortissants nippons enlevés par la Corée du Nord.
Mme Kim a évoqué son expérience avec Taguchi Yaeko, de juillet 1981 à mars 1983, dans un centre d'entraînement à l'espionnage en Corée du Nord. Mlle Taguchi l'avait personnellement instruite sur l'identité japonaise, de la langue aux coutumes en passant par les comportements et jusqu'à la manière dont les femmes se maquillent dans l'Archipel.
Mme Kim précise avoir conservé son identité secrète, tout comme Taguchi Yaeko, ajoutant qu'un lien assez fort s'est noué entre les deux. Lorsqu'elles ont été finalement séparées, Mlle Taguchi lui a offert un stylo plume rouge en cadeau d'adieu.
« Jusqu'à la révélation de Mme Kim, les enlèvements relevaient seulement de la suspicion », observe M. Tanaka. « Mais pour la première fois, j'entendais une agente nord-coréenne affirmer qu'elle avait appris la langue japonaise grâce à une personne amenée du Japon, laquelle pleurait toutes les nuits. De telles paroles, de la part d'une agente nord-coréenne, attestaient de la réalité des enlèvements. »
Une fois que les soupçons ont été confirmés, la question des enlèvements est devenue un épineux problème politique et diplomatique. Et M. Tanaka savait que le Japon aurait à régler ce problème par lui-même.
« Il s'agissait fondamentalement d'une violation de la souveraineté japonaise », estime-t-il. « Des ressortissants japonais avaient été enlevés en plein jour. Nous aurions dû l'empêcher, mais nous n'en avons pas été capables. C'est une question que le Japon se doit de résoudre. Il a été question de solliciter le soutien des États-Unis, mais je n'y suis pas favorable. Il s'agit d'un problème auquel le Japon doit lui-même trouver la solution. »
Révision de la peine de mort
Kim Hyon-hui a été condamnée à mort en Corée du Sud, en 1989, mais elle a bénéficié d'une grâce présidentielle l'année suivante, au motif qu'elle avait subi un lavage de cerveau. Elle a continué à écrire des livres et à donner des conférences.
Elle n'est plus apparue en public après son mariage, en 1997, mais elle s'est rendue au Japon en 2010 pour contribuer à la résolution du dossier des enlèvements et pour rencontrer les familles de victimes.
Cinq victimes japonaises d'enlèvements ont pu regagner l'Archipel suite à un sommet avec la Corée du Nord négocié par M. Tanaka en 2002. Depuis lors, les relations se sont toutefois détériorées.
La Corée du Nord développe et expérimente des armements nucléaires, ainsi que des missiles, et le dossier des enlèvements est resté dans l'impasse.
Selon M. Tanaka, les actuels bureaucrates et responsables politiques, dont les efforts de résolution s'avèrent insuffisants, devraient avoir une conscience plus aiguë des responsabilités liées à leur profession.
« Les politiciens, notamment, devraient agir avec conscience et détermination », assure-t-il. « Je pense que ce sera un point absolument crucial dans les futures négociations avec la Corée du Nord. »
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